à venir :

 

 

🔖 David Max Benoliel : Le jeu des assassins (Ă©ditions Ex-Aequo, 2011)

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David Max Benoliel

Le jeu des assassins (Thriller)

 

"Au sud, la mer est bordée de maisons de styles et de dimensions diverses, mais les trois premières sont particulièrement remarquables. Mon vocabulaire architectural est restreint. Toutes trois se ressemblent bien qu'aucune d'entre elles ne soit identique à l'autre. Grandes, blanches, d'un style qui me paraît mélanger le néo-classique et le néo-mauresque, à moins qu'elles n'aient été inspirées par des réminiscences de pagode indienne décrite par Francis de Croisset. A ces qualificatifs, il faut ajouter luxueuses et riches ; il faut ajouter belles, et lorsqu'on passe devant elles, l'on se prend à rêver de la vue que l'on peut avoir des salons que l'on devine immenses et qui ouvrent sur l'horizon par d'imposantes portes fenêtres cintrées ou en ogive.

La première s'appelle "Les Rocs", la deuxième "Les Flots", la troisième "Les Vents". C'est dans celle-ci qu'habitait Monsieur Lebègue-Castel.

Pas de nom au-dessous de la sonnette-interphone-ouvre-porte. Seulement une plaque de bronze avec le monogramme "L-C". Eliza d'un mouvement du front attire mon attention sur la caméra qui se met en marche au moment où elle presse la sonnette. Vibration de l'interphone. Voix de femme d'âge moyen, sévère, presque revêche :

          – Vous désirez ?

          – Nous voudrions voir Monsieur Lebègue-Castel, dit ma compagne.

          – Avez-vous rendez-vous ?

          – Non. Je suis le commissaire Sonnelier de la Police Judiciaire.

Elle brandit sa carte en direction de la caméra, et un petit bruit nous indique qu'un zoom a été mis en marche. Déclic de la serrure commandée à distance. Je tiens la porte à Eliza pour lui ouvrir le passage et je la suis. Un mécanisme referme le portillon derrière nous. Une allée d'une dizaine de mètres conduit du portillon à la porte d'entrée. Deuxième arrêt, deuxième caméra. L'un des battants pivote démasquant une dame de cinquante ans mince et sévère, portant une sorte de robe grise ajustée, au large col blanc. On croirait voir la Madame Danvers de "Rebecca"."

P. 76-77  - Chapitre 21

 

🔖 Pernelle SĂ©vy : La passion d'Anna Blaine (Ă©ditions  Buchet-Chastel, 2001)

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Pernelle Sévy

La passion d’Anna Blaine

 

Royan, 5 janvier 1945

 

 Le ciel était rouge. Royan embrasé fumait, éclatait…

… Quand la deuxième vague s’éloigna et le bruit des avions lentement s’atténua, alors j’entendis cette immense clameur, cette longue plainte qui montait, qui n’en finissait pas, faite de cris d’horreur, de douleur, que j‘entends encore, que je n’oublierai jamais. Je me dirigeais comme un automate vers la rue de Foncillon. J’avais l’impression de faire un mauvais rêve. Ce que je voyais ne pouvait être vrai. J’allais me réveiller. Et pourtant j’étais bien au cœur du réel et je continuais de marcher. Je connaissais si bien le parcours entre le quartier du Parc et la boulangerie que j’aurais pu me diriger les yeux fermés. Cependant je ne retrouvais plus ma route. A chaque instant je devais m’arrêter, revenir sur mes pas, chercher un autre itinéraire car certaines rues étaient infranchissables. Partout autour de moi ce n’était que maisons éventrées, amas de pierres et de ferraille, flammes d’incendies d’où sortaient des fumées âcres de chair brûlée. Là un lit de fer surgissait du sol, noirci et tordu. Puis c’était un trou énorme qui m’obligeait à un détour Je devais une fois encore rebrousser chemin. Et, plus j’avançais plus le désastre se révélait effroyable. C’est lorsque le jour commença à poindre que je me rendis compte de son ampleur : la ville qui m’était si familière était morte. Royan n’était plus que ruines noirâtres encore fumantes. On venait de l’assassiner pendant son sommeil.

Roman. P. 96-97, Editions  Buchet-Chastel, 2001

 

🔖 Eric Fottorino : Question à mon pùre (collection Folio, 2010)

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Eric Fottorino

Questions à mon père

 

Fils de deux pères                                                 

 

          "Ce n'est pas faute pour toi d'avoir tenté des rapprochements. Je n'étais pas prêt. Je n'étais jamais prêt. Je ne connaissais alors qu'un seul père et ce n'était pas toi. Les pères n'allaient pas par paire, c'était ainsi. Tu aurais approuvé l'éducation dispensée par Michel, sa manière de dire : "tiens-toi droit" pour corriger la disgrâce d'une voussure qui aurait fait de moi un vieux avant l'heure. Michel m'avait adopté. Il avait accompli cet acte insigne : me donner son nom. Lui qui redoutait la paperasserie plus que tout, il dut signer des déclarations officielles pour me faire sien. Je ne devais pas me montrer indigne de lui. Et pour cela, dans mon esprit trop simple, tu ne devais pas exister. Je ne t'ai pas renié. Je me suis contenté de te nier. Toutes ces années, presque trente, tu n'as plus compté à mes yeux. Si mes livres te dévoraient ou te brûlaient selon mon bon vouloir de romancier, tu ne pouvais revendiquer le moindre lien entre nous. Je pouvais dire comme bon me semblait que tu étais mon géniteur. Tu ne pouvais me revendiquer comme ton fils. Je pratiquais le sens unique. Je prenais ce que je voulais. Tu ne recevais rien.

          Jamais je ne t'aurais laissé prendre la place de mon père, que d'ailleurs tu avais la délicatesse de ne pas convoiter. Je ne t'accordais en vérité aucune place. J'avais ma conscience pour moi, quel confort que la bonne conscience. Ce n'était pas grand-chose pourtant. Dans mes collèges noirs de soutanes, on m'avait dressé à aimer avec des préjugés, pas de pitié pour le différent, l'étranger, le tueur de Christ. Je t'avais accablé de tous les péchés de la terre, c'était commode, ça empêchait de réfléchir et de s'émouvoir. La belle affaire. Misérable déni. O temps perdu, vie passée, occasions manquées. Maintenant que l'âge nous a rapprochés, que se sont évaporés les reproches, je mesure combien je nous ai punis. J'ai préféré le romanesque à l'abrupt de la vie. J'ai esquivé la vérité. Un père juif marocain nommé Maman, accoucheur de son métier, abandonneur de bâtard, il y avait de quoi broder. Cela faisait une bonne histoire à imprimer. Je ne m'en suis pas privé. Mais à la longue, déroulant à l'infini le fil de l'écriture, la fiction m'a dévoilé notre réalité comme un révélateur fixe une image d'abord tremblée dans le secret d'une chambre noire. Qui avait été abandonné sinon ma mère de ses parents, et toi des tiens ? Qui avait souffert sinon vous séparément, puisque jamais vous ne vous êtes retrouvés ?"

  152 – 153, ch. 22, COLLECTION Folio, 2010

 

🔖 Eric Fottorino : L'homme qui m'aimait tout bas (collection Folio, 2009)

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Eric Fottorino

L'homme qui m'aimait tout bas

 

Magie de l’écriture

 

          "A  l'époque je l'appelais encore Michel, sa smala de famille l'appelait Michou. Il était beau, plein de muscles et de douceur, naturellement bronzé, un visage fin et expressif, l'air débonnaire, tranquillement sûr de lui, de son charme, de sa force. Quelque chose d'un acteur de cinéma. Me vient une réplique d'Yves Montand dans César et Rosalie, à propos de Sami Frey : "On sent le type à l'aise, quoi." Et Romy Schneider répondait : "Cela s'appelle le charme." Maman paraissait heureuse avec lui. Un soir il est entré dans ma chambre et m'a dit en se raclant la gorge que si je voulais bien il serait mon père et que je pourrais l'appeler papa. J'ai raconté cet instant de magie dans plusieurs de mes livres, et moi qui ne les relis jamais, je me suis précipité sur eux en cherchant fébrilement les pages où je le décrivais, une fois en marchand de cannes à pêche, une fois en ostréiculteur aux mains tailladées, une autre fois sans fard ni fiction, tel qu'en lui-même dans un livre dédié "A Michel Fottorino, mon père". Mes mains tremblent chaque fois que je veux retrouver ces passages où il vit encore. Je cherche dans mes romans des preuves de vie, les preuves qu'il a vécu, que nous avons vécu ensemble heureux. J'ai réalisé à ce moment la dimension magique de l'écriture : les personnages ne vieillissent ni ne meurent."

14 – 15, Collection Folio, 2009