à venir :

 

 

🔖 Laurent Binet : La septième fonction du langage (éditions Grasset, 2015)

Rédigé par webmestreRL Aucun commentaire
Classé dans : bonnes feuilles Mots clés : aucun

« La septième fonction du langage » de Laurent Binet,

Paris, Éditions Grasset, 2015

Annie B. a lu  (juillet 2016) et en propose aux futurs lecteurs la recension suivante :

Que dire de ce roman flamboyant, foisonnant, coruscant à l’extrême ?

 

On en sort groggy, époustouflé par tant de culture, de savoir, mais aussi de perversité intellectuelle, car ce roman-là se veut plus vrai que la vie réelle et ose, entre autres, faire mourir Derrida vingt-quatre ans avant sa « vraie » mort. Courses-poursuites à l’américaine, assassinats à la soviétique, attentats extrémistes et amputations se succèdent tambour battant. « La vie n’est pas un roman ». Ainsi débute le roman de Laurent Binet pour nous égarer. Mais, le roman est-il la vie ? (Oui, aurait répondu García Márquez pour qui « le roman, c’est la vie » !) L’auteur prétend à la vérité historique, ce qui signifie qu’il ne revendique même pas son droit inaliénable à l’invention, à la distorsion du réel pour le plier à ce que son imagination lui commande : la fiction s’impose d’elle-même comme étant la vraie vie.

Je cite : « Les raisons que je viens d’évoquer pour expliquer l’attitude de RB (Roland Barthes – c’est moi qui note !) sont toutes attestées par l’Histoire, mais j’ai envie de vous raconter ce qui est vraiment arrivé », p. 11. Ailleurs, c’est Umberto Eco qui pose la question : «  Que signifie reconnaître, à la lecture d’un roman, que ce qui s’y passe est plus « vrai » que ce qui se passe dans la vie réelle ? », p. 261.

 

Nous sommes en présence d’un OLNI (objet littéraire non identifié), une enquête policière doublée d’un road-movie sur deux continents et plusieurs villes de la vieille Europe d’avant la chute du mur, de Paris à Bologne, de là à Venise en passant par l’université d’Ithaca (USA), puis Venise et Naples. Ce genre hybride puise largement dans les romans d’espionnage à la John Le Carré, où l’on voit un improbable duo d’agents français – l’un, un vrai policier, le commissaire Jacques Bayard, et l’autre qui est de toute évidence le porte-parole de l’auteur, un thésard chargé de cours de sémiologie à Paris-Vincennes, Simon Herzog – faire la chasse à un document volé sur le corps de Roland Barthes retrouvé mourant sur un trottoir parisien, après avoir été renversé par la camionnette d’une blanchisserie (ça ne s’invente pas !) conduite par un drôle de chauffeurrr-livreur, le 25 février 1980. Ce mystérieux document aurait trait à la « septième fonction du langage » de Roman Jakobson, qui donnerait à son possesseur un pouvoir démesuré de conviction sur ses concurrents.

L’enquête conduit le duo à côtoyer le microcosme français et international des lettres et de la linguistique, bref, l’intelligentsia de l’époque : Louis Althusser, Jacques Derrida, Hélène Cixous (elle est à l'origine de la création du centre expérimental qu’était l'université de Vincennes, après Mai 68), Bernard Henry-Lévy, Roman Jakobson, Julia Kristeva, John Searle, Philippe Sollers, sans parler des hommes politiques français à la charnière des années 70 et 80, tels que Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand et leurs satellites.

Ajoutez un zeste d’ange gardien au curieux accent russe, Anastasia, une anti-James-Bond-girl – une blonde aux jambes fuselées, quand même – pour un anti-007 mal fagoté, mal coiffé et plutôt moche. Épicez avec deux Bulgarrres encombrrrés de parapluies par tous les temps, slalomant en DS noire (tiens, tiens, la fameuse DS en couverture de Mythologies de Barthes…) dans une course-poursuite à travers Paris. Sans oublier deux Japonais-Ninjas sortis tout droit de l’univers de la BD en Fuego bleue. Et qui sont ces personnages que l’on croise au fil de l’intrigue auxquels il manque un doigt ? Haha, se dit le lecteur fier de sa perspicacité, ce sont sûrement des Yakuza, puisqu’il y a des Japonais qui rôdent dans le secteur… Ben non, le lecteur s’est laissé fourvoyer. La réalité est tout aussi étrange, puisqu’il s’agit de membres d’une société secrète à la recherche du pouvoir de la parole, le Logos Club dont le chef suprême est appelé « le grand Protagoras ». Épicez avec un peu d’amour et de sexe grâce à Bianca, l’amoureuse ultra gauchiste qui risque sa vie lors de l’attentat de Bologne du 2 août 1980 pour sauver celle de Simon. Et poursuivez-y les traces des Brigate Rosse, de camorristes napolitains et de quelques gigolos maghrébins qui gravitent autour de Foucault, lui prodiguant moult gâteries contre espèces... Tout ce joli monde est à la recherche, coûte que coûte, du document volé. Les péripéties sont tour à tour cocasses ou terrifiantes, l’humour est décapant, le style jubilatoire.

Il s’agit surtout d’un enterrement de première classe des fabuleuses années 60 et 70, l’époque où la France pouvait encore donner le la en matière de critique littéraire et de recherche en linguistique et sociologie

On pourrait, en effet, détourner la chanson de Serge Gainsbourg : Ex fan des sixties

Disparus Althusser, Bachelard, Barthes, Blanchot, Bourdieu, Debord, Deleuze, Derrida, Eco ; idem, Foucault, Jakobson, Sartre, Saussure. Manque curieusement le plus grand de tous, le fondateur du structuralisme français, Claude Lévi-Strauss !

 

Disparu le Centre universitaire expérimental de Vincennes voulu par De Gaulle à l'automne 1968, dans l'après mai 68, pour « surveiller les enragés ». La destruction des 40 000 mètres carrés en dur des locaux du Bois de Vincennes a été décidée par Chirac en 1980.

 

L’auteur s’amuse avec les représentations de la vie réelle et de la vie dans le roman, dans une mise en abyme vertigineuse et récurrente (lassante ?). Le roman entier repose sur une chimère, un pari politique au plus haut niveau, et culmine avec la joute entre Giscard et Mitterrand… Petite concession au lecteur assoiffé de justice : exit aussi l’abominable mafieux-spéculateur-promoteur-orateur criminel : il sera jeté dans les entrailles fumantes des enfers à Pozzuoli par ses propres sbires – Empédocle dérisoire. Pourtant, la mort n’y est pas plus extravagante que celle qui consiste à mourir du sida comme Foucault ou écrabouillé par la camionnette comme Barthes ou mourir « chez les fous » comme Althusser.

 

N’hésitez pas : plongez dans cet univers qui est notre patrimoine socio-culturel à tous. D’une façon ou d’une autre, vous n’en sortirez pas indifférents, et c’est là un signe qui ne trompe pas : nous sommes en présence d’une grande fiction. Euh !… Vous avez dit fiction ?

 

🔖 Bernard Giraudeau : Les dames de nage (éditions Métaillé, 2007)

Rédigé par webmestreRL Aucun commentaire
Classé dans : bonnes feuilles Mots clés : aucun

Annie B. a lu  (juillet 2016)

 « Les dames de nage » de Bernard Giraudeau.

Éditions Métailié, Mai 2007

 

J'ai aimé sa poésie, sa sensibilité et son sens de l'amitié indéfectible. Ses recherches en amour et ses innombrables conquêtes ont dû mettre une certaine Anny Duperrey très mal à l'aise. Pour ma part, je voulais voir ce que celui que je prenais pour un mirliflore à demi analphabète pouvait donner en littérature (avait quitté l'école à 13 ans comme Depardieu et Lucchini ! Ça fait peur de voir à quel point l'Éducation Nationale peut passer à côté de ses éléments les plus inclassables et les plus talentueux...)

Voici sa première phrase (et tout est à l'avenant) :

 "Je peux voir la canopée comme des vagues immobiles auxquelles seul le vent de la montagne donne une vie de mer sombre. Il traîne des brumes alanguies que le soleil levant finit toujours par enflammer. Au-delà il y a un grand fleuve et bien au-delà la mer, la vraie, l'infinie, qui se dessine parfois comme un trait de lumière pour souligner l'indéfini du ciel... Il y a alors une plainte rugueuse des écorces blessées, un bavardage précipité du feuillage sous les ailes sombres des nuages, et je me régale d'un poignard de feu derrière les voiles d'eau... Tous les soirs avant la noyade solaire, quand l'ombre du petit sycomore s'étire en géant, je m'assois sur le tronc couché qui barre le sentier. J'ai alors, comme le veilleur, le sentiment de garder un territoire." (Il a parcouru la forêt amazonienne, l'Afrique des déserts et bien d'autres endroits encore. Mais c'est les deux premiers qu'il préfère).

Il a tout essayé : alcool, drogues, amours insensées et dangereuses, amitiés inconditionnelles, recherche de la perfection faite femme, et puis la douleur, la douceur ou le désespoir de vivre, la maladie sans se plaindre... Quel personnage ! Et quelle prose !

 

🔖 Delphine de Vigan : D'après une histoire vraie (éditions JC Lattès, 2015)

Rédigé par webmestreRL Aucun commentaire
Classé dans : bonnes feuilles Mots clés : aucun

Elisa vous recommande  

« D'après une histoire vraie » de  Delphine de Vigan 

Éditions JC Lattès, Septembre 2015  

 

L'auteur multiplie les allusions à sa propre vie: met en scène ses enfants, son compagnon.

Où s'arrête le réel et où commence la fiction?

Le récit oscille entre autofiction et thriller, la question de la création romanesque sert de toile de fond.

 

Page 125:

Tout auteur qui a pratiqué l’écriture de soi (ou écrit sur sa famille) a sans doute eu, un jour, la tentation d’écrire sur l’après. Raconter les blessures, l’amertume, les procès d’intention,  les ruptures. Certains l’on fait. Sans doute à cause des effets retard. Car le livre n’est rien d’autre qu’une sorte de matériau à diffusion lente, radioactif, qui continue d’émettre, longtemps. Et nous finissons toujours par être considérés pour ce que nous sommes, des bombes humaines, dont le pouvoir est terrifiant, car nul ne sait quel usage nous en ferons.

 

Page 447:

... même si les faits sont avérés, c’est toujours une histoire qu’on se raconte. On se la raconte. Et au fond, l’important, c’est peut-être ça. Ces toutes petites choses qui ne collent pas à la réalité, qui la transforment... Nous sommes tous des voyeurs, je vous l’accorde, mais au fond, ce qui nous intéresse, nous fascine ce n’est peut-être pas tant la réalité que la manière dont elle est transformée par ceux qui essayent de nous la montrer ou nous la raconter. C’est le filtre posé sur l’objectif. En tous cas, que le roman soit certifié par le réel ne le rend pas meilleur.

 

đź”– Allain Glykos : Allez au diable ! (Ă©ditions L'Escampette, 2007)

Rédigé par webmestreRL Aucun commentaire
Classé dans : bonnes feuilles Mots clés : aucun

Allain Glykos

Allez au diable

 

Un vieux rémouleur qui allait de village en village prétendit avoir aperçu un homme qui ressemblait à Antoine, non loin de l‘océan. Il aurait le visage endurci, la  silhouette bien taillée, porterait sacs et traînerait carriole chargée d’ustensile de toutes sortes. On avait du mal à le reconnaitre disait le rémouleur. D’ailleurs, je ne mettrais pas ma main à couper que c’était lui.

  • Alors pourquoi tu dis des choses comme ça, vagabond ? Tu vois pas que tu fais mal à ce pauvre Etienne.
  • Je dis des choses comme ça, parce que j’ai un petit doute que ça pourrait être lui.
  • Laisse-le parler, je n’ai plus de fils. Aucun homme ne peut être mon fils.

Antoine ne serait donc pas loin mais bien assez pourtant pour que personne ne le reconnaisse. Il ne passerait jamais deux fois au même endroit et pour cette raison nul n’éprouverait besoin de parler de lui. Repasserait-il qu’on commencerait à se souvenir de l’avoir déjà vu et l’on s’inquièterait de savoir d’où il vient, où il va. Les enfants chanteraient qu’il est passé par ici, qu’il repassera par là. Resterait-il une nuit dans une grange abandonnée, une cabane, un abri, on aurait à peine le temps de le remarquer qu’il serait parti sans laisser de trace. Pas de nom, pas de matricule. Bien sûr, il y avait les habitués, les gitans que l’on associait à la perte d’une volaille. Chaque village a ses marcheurs, les reconnait, les retrouve avec soulagement et appréhension, comme si le retour d’un vivant, quel qu’il soit, avait la vertu de redonner l’espoir, avait le pouvoir d’annoncer les beaux jours. Depuis la guerre, même les femmes ne craignaient plus l’idée du retour d’un vagabond. On racontait çà et là des histoires de poilus revenus tardivement de la guerre. Antoine n’avait pas à revenir de la guerre, il n’y était jamais allé. Il avait par dessus tout voulu qu’on lui foute la paix. On ne revient pas de la paix.

L’Escampette Éditions – Juin 2007 – p. 30, 31.

 

đź”– Michel Serres : Le gaucher boiteux (Ă©ditions Le Pommier, 2015)

Rédigé par webmestreRL Aucun commentaire
Classé dans : bonnes feuilles Mots clés : aucun

Michel SERRES

Le gaucher boiteux

puissance de la pensée

[ …]

Exemple. Gaucherie et claudication symbolisent, marquent, incarnent, résument notre faiblesse, notre inadaptation au monde. Ce trou, cette faille s’ouvre si largement que, pour nous adapter aux choses et aux autres, nous devons mettre entre le monde et nous des mots, le langage, bref, des envoyés ou messagers, enfin une masse énorme d’abstraction, mythes et culture, sciences et raison. Toute la pensée.

Entre ? Ce mot-clé ouvre un espace-temps exemplaire et particulier, intermédiaire, ensemencé, comme il sied, d’obstacles et de passages, un champ d’énergie traversé de messages et de messagers, un paysage… Le voici.

[ …]

Éditions Le Pommier, 2015  [ESSAI LE POMMIER !] – Page 127.

 

Penser, c’est inventer, pas imiter ni copier !

S’enrichissant de l’apport des sciences, de la philosophie, de l’histoire et de la religion, Michel Serres associe à la pensée le monde dans sa totalité.

 

Membre de l’Académie française, Michel SERRES, est l’auteur de nombreux essais philosophiques et d’histoires des sciences. Il est l’un des rares philosophes contemporains à proposer une vision du monde qui associe les sciences et la culture.

 

đź”– Karen Blixen : La ferme africaine (Ă©ditions Gallimard, 1942)

Rédigé par webmestreRL Aucun commentaire
Classé dans : bonnes feuilles Mots clés : aucun

La Ferme africaine

Karen Blixen

Résumé

J'ai possédé une ferme en Afrique au pied du Ngong. La ligne de l’Équateur passait dans les montagnes à vingt-cinq milles au Nord ; mais nous étions à deux mille mètres d'altitude. Au milieu de la journée nous avions l'impression d'être tout près du soleil, alors que les après-midi et les soirées étaient frais et les nuits froides.

L'altitude combinée au climat équatorial composait un paysage sans pareil. Paysage dépouillé, aux lignes allongées et pures, l'exubérance de couleur et de végétation qui caractérise la plaine tropicale en étant absente : ce paysage avait la teinte sèche et brûlée de certaines poteries.

L'horizon que l'on découvre des collines du Ngong est incomparable : au sud des grandes plaines, puis les vastes terrains de chasse qui s'élèvent jusqu'au Kilimandjaro. Au nord-est il y a la réserve des Kikuyu qui s'étend sur près de 160 kilomètres jusqu'au mont Kenya, couronné de neige.

Nous cultivions surtout le café, mais ni l'altitude ni la région ne lui convenaient très bien ; et nous avions souvent du mal à joindre les deux bouts.

Nairobi, notre capitale, n'était qu'à une vingtaine de kilomètres de la ferme.

Au cours de mes safaris j'ai vu un troupeau de buffles de cent vingt-deux bêtes surgir du brouillard matinal sur un horizon cuivré comme si ces bêtes massives et grises, aux cornes horizontales et compliquées, étaient sorties du néant dans le but désintéressé d'enchanter mes yeux. J'ai vu toute une troupe d'éléphants en marche dans la forêt vierge, une forêt si épaisse, qu'il ne filtrait que des éclaboussures de lumière.

J'ai éprouvé, dès ma première semaine en Afrique, beaucoup d'affection pour les indigènes. C'était un sentiment très fort et très spontané qui s'étendait indistinctement à tous les nègres quel que fût leur sexe ou leur âge. La découverte de l'âme noire fut pour moi un événement, quelque chose comme la découverte de l'Amérique pour Christophe Colomb, tout l'horizon de ma vie s'en est trouvé élargi.

Un écho entre nos deux mondes nous unissait ; il y avait aussi le grand lien de la ferme à laquelle nous appartenions tous.

En Afrique, les Blancs qui se déplacent toujours chaussés, et généralement pressés détonnent dans le paysage. Les indigènes, au contraire, sont toujours en harmonie avec le pays…

 

La Ferme africaine est un roman autobiographique écrit par Karen Blixen - sous le nom de plume d'Isak Dinesen paru en 1937 - est éditée en France aux Editions Gallimard en 1942 avec une traduction d'Yvonne Manceron fondée sur la version anglaise écrite par Karen Blixen.

Le roman est réédité en mai 2005 avec une traduction d'Alain Gnaedig fondée sur le texte original danois.