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↬ Faut-il libérer le désir …ou se libérer du désir ? > café-philo des RdV littéraires de Royan du 28 mai 2021 ✎ Jacques Eskénazi

Rédigé par webmestreRL 1 commentaire
Classé dans : philo Mots clés : aucun


Pour ce premier café philo depuis bien longtemps je voudrais vous soumettre la citation que je considère comme la mieux adaptée à l'activité philosophique, et que j'ai récupérée lors d'une émission de François Busnel (...je ne pense pas qu'elle soit de lui mais peu importe l'auteur...): « Philosopher, déclarait-il en préambule d'une de ses émissions, c'est mieux penser pour mieux vivre »...Ce n'est pas le thème de notre réunion d'aujourd'hui donc je ne m'y attarderai pas. Nous y réfléchirons ensemble une autre fois si vous le souhaitez, mais en attendant convenez que cette définition nous sera certainement d'un grand secours pour aborder le thème du désir...
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Ce n'est pas une contrainte , et encore moins une habitude, il s'agit juste d'une précaution destinée à valider que nous partons tous d'une même référence : je veux bien sûr parler de la définition des termes que nous emploierons au cours de cette session. Et pour commencer bien sûr, qu'est ce que le désir ?

Pour le Larousse 
- Le désir : Action de désirer, sentiment de celui qui désire
Quelques synonymes :
-   Le besoin : Ce qui est nécessaire ou indispensable. ( Le besoin aurait un caractère nécessaire que n'a pas le désir: il caractérise l'état de l'organisme lorsqu'il est privé de ce qui assure son fonctionnement normal)
- L’envie : Sentiment de convoitise à la vue des avantages, du bonheur d’autrui
- Le plaisir : Etat de contentement que crée chez quelqu’un la satisfaction d’une tendance, d’un besoin, d’un désir
- Pulsion : Energie fondamentale du sujet qui le pousse à accomplir une action visant à réduire une tension
- Tentation : Tout ce qui tente, attire, incite à quelque chose, crée le désir, l’envie

Toutes ces définitions ont bien entendu été évoquées à dessein: elles nous permettent de constater qu’entre ces différents synonymes la frontière est particulièrement ténue 

Pour Wikipédia
« Le désir désigne la sensation d'attraction et d'attente à l'égard d'une personne, d'un objet, d'une situation ou d'un futur particulier. Le désir est tantôt considéré positivement puisque l'on considère l'objet désiré comme source de plaisir ou de contentement, voire de bonheur, et tantôt considéré négativement comme une source de souffrance une forme d'insatisfaction »...

Pour André Comte Sponville (Dictionnaire philosophique)
« C'est la puissance de jouir et d'agir. On ne confondra pas le désir avec le manque qui n'est que son échec, sa limite ou sa frustration.Le désir en lui même ne manque de rien: c'est l'impuissance, non la puissance qui manque de quelque chose.»
A. Comte Sponville se réfère volontiers à Spinoza qui fut certainement, avec Nietzsche, l'un des apologistes les plus convaincus de la notion de puissance et de désir: « Le désir est l'essence même de l'homme »...C'est la forme humaine du conatus donc le principe de « Tous les efforts, impulsions, appétits et volitions de l'homme... » (Spinoza). Pour un plus long développement je vous renvoie bien sûr à son Dictionnaire philosophique.
C'est, je le concède volontiers, une approche particulièrement claire et rigoureuse du terme. Malheureusement pour nous ce n'est pas la seule...Sans dévoiler le reste de notre discussion il nous faudra bien à un moment ou à un autre dévoiler l'existence, voire le rôle, de puissances occultes ou inconscientes : les «souterrains de l'âme» dont parlent entre autres Freud ou Schopenhauer, et que nous évoquerons plus loin

J’évoquerai en préliminaire quelques expressions que nous avons tous utilisées au moins une fois dans notre existence:
Untel est esclave de ses désirs»…«Untel a des pulsions suicidaires»… «Untel ne pense qu’à assouvir ses désirs, trouver son plaisir»…La littérature même s'en est emparée: «Je peux résister à tout sauf à la tentation» (Oscar Wilde), « Mignonne allons voir si la rose…» (Ronsard) , Baudelaire «Le serpent qui danse» et même nos vedettes les plus populaires: «Qu’on me donne l’envie, l’envie d’avoir envie...» (Johnny Hallyday)

-1- On peut dans un premier temps tenir pour acquis que le désir doit nous amener au plaisir : si nous écoutons notre désir, nous devrions pouvoir trouver notre plaisir.
-2- Se pose en seconde analyse la question de la «force» du désir : serions nous à ce point son esclave que nous n’aurions d’autre choix que de nous soumettre et l’accepter jusque dans ses extrêmes? (Nous l’aurions alors «libéré»)… Pouvons nous «a contrario» le contenir hors de portée (Nous nous serions alors affranchis de son influence)…?
-3- «In Fine», en tant qu’êtres désirants, se pose à nous la question de la «gestion» du plaisir: quel peut-être notre libre arbitre face au désir quand il se présente à nous ? Sommes nous capables de le libérer totalement, de l’assumer, face aux contraintes sociales, morales , religieuses, familiales, financières qui font notre vécu ? Sommes nous capables au contraire de nous en affranchir,de prétendre à un état d’ataraxie?  Et, si c’est le cas, de quelle manière, et dans quelle mesure ?


Approche théorique: l'apport du vécu

L’ambivalence de l’être humain nous amène à nous interroger sur deux types de comportements (dont l’opposition n’est qu’apparente…)
-A- Je suis un être de chair et de sang sujet à désirs et à pulsions, que faire de ces désirs et pulsions? On peut ici peut-être citer Rabelais : «Fais ce que vouldras»...
-1- Puis je et dois je rapidement satisfaire ces désirs et pulsions sans tenir compte des conséquences ou effets collatéraux de ma conduite ? N’y a-t-il pas à terme un risque d’addiction, d’habitude ? (le tabac, l’alcool, la drogue,…) (C'est une piste de réflexion)
-2-Mais aussi dois je éprouver de la culpabilité face à l’assouvissement de mon désir ( C'est une autre piste de réflexion) 

Un exemple pratique : je passe devant une boulangerie, mon gâteau favori (…une forêt noire bien crémeuse…) est en vitrine, je passe devant un concessionnaire Lamborghini …
Dans ces deux cas la sollicitation est aussi forte mais n’obéit pas aux mêmes critères : dans le 1er cas je me dédouane facilement, le gâteau me coûtera 3E  dans le deuxième cas je suis obligé de me frustrer volontairement: la Lamborghini me coûterait 150.000E , je ne les ai pas.
Premièr constat : même si j’obéis à mes pulsions, mon désir a, dans un premier temps au moins, une limite. Dans ce cas précis, la limite est financière   

-B- En même temps, je me considère comme un être doué de raison, je dois donc être capable de contenir et limiter mon désir, mes pulsions, de les domestiquer. Je m’appuie alors sur les barrières socio-éducatives personnelles qui m’ont été inculquées :
-1- Mes propres limites sociales, morales, religieuses, familiales, financières…: je dois faire ceci ou cela, je ne dois pas faire ceci ou cela, c'est la culpabilisation due à mon éducation
-2- La culture du manque et de la frustration occasionnelle ou totale : je ne veux pas faire ceci ou cela, c'est un choix de vie
-3- In fine: essayer de tendre à l’absence totale de désir, c'est la conversion, la recherche du Nirvana par la méditation par exemple.
La réalité philosophique et pratique n’est pas simple : si je suis un être de chair et de sang soumis à désirs et pulsions, j’ai aussi la faculté d’analyser ce en quoi tel ou tel acte est bon ou pas. 


Approche morale : l'apport philosophique

-1- Le désir est un manque (Schopenhauer)

Par définition pour Schopenhauer, le désir est toujours l’expression d’une absence. C’est pourquoi, désirer c’est souffrir, ressentir durement ce qui n’est pas. La satisfaction elle même est porteuse d’une illusion : elle promet toujours plus qu’elle ne peut tenir. Elle est partielle: on ne satisfait jamais qu’un désir parmi une multitude, souvent d’ailleurs on répond à un désir en frustrant les autres. Le désir poursuit sa propre fin, sa propre disparition, mais quand arrive une occasion de satisfaction, loin d’éprouver de la jouissance positive, nous n’expérimentons que son absence, c’est à dire le manque du manque.
« Le désir, la privation, est la condition préliminaire de toute jouissance. Or, avec la satisfaction cesse le désir et par conséquent la jouissance aussi. Donc, la satisfaction, le contentement, ne saurait être qu’une délivrance à l’égard d’une douleur , d’un besoin »
Il va même plus loin puisqu'il en appelle à la suspension même de la notion de désir (...la conversion...), le nirvana qui n'est rien moins que la notion bouddhiste et ascétique de l'existence!
Mais il reconnaît également les tensions souterraines, ce qu'il appelle les «souterrains de l'âme»:«La volonté est l'essence intime de toute chose» . 
(Bref rappel de l'école Schopenhauerienne: la volonté c'est notre vouloir vivre)

Schopenhauer, « Le Monde comme volonté et comme représentation »


-2- Le désir peut être maîtrisé, voire paramétré (Epicure et la tripartition du désir, Aristote et la médiété, Descartes et le désir raisonné)

Pour les Grecs de l'Antiquité, la défiance envers le désir ressort de la conviction qu’il est source de trouble et de douleur pour le corps, et d’aveuglement pour l’âme, l’éloignant par là de la tranquillité et du discernement dont elle est capable.
Les pensées stoïcienne et épicurienne se rejoignent en ce qu’elles appellent toutes deux à une thérapeutique des désirs en fonction de leur objet. Epicure rappelle que «Le plaisir est le principe et le but de la vie bienheureuse » (Lettre à Ménécée). Mais il ne s’agit pas de n’importe quel plaisir. Désirer c’est tendre vers un objet qui me permettra d’atteindre la plénitude.. La recherche du plaisir vise donc à atteindre la paix du corps, (aponie), et la paix de l’âme, (ataraxie). Il faut donc privilégier les plaisirs naturels et nécessaires (boire et manger par exemple), modérer ceux qui sont naturels mais non nécessaires (boire du vin ou de l'alcool) et bannir les désirs non naturels et non nécessaires (la consommation addictive...) : c'est la tripartition épicurienne des désirs, que l'on peut considérer comme un premier cadre global de réflexion
Même son de cloche si j'ose dire chez Aristote pour lequel: «Dés l'enfance, l'aptitude au plaisir a grandi avec chacun de nous: c'est pourquoi il est  difficile de se débarrasser de ce sentiment tout imprégné qu'il est dans notre vie» Il convient cependant pour lui de s'écarter de toute forme d'excés. Comment? par la recherche de la vertu, celle-ci conduisant au souverain bien. Il définit ainsi la notion de vertu: «La vertu est une excellence et cette excellence est un juste milieu, une médiété». ( «L'éthique à Nicomaque»). C'est en quelque sorte l'introduction de la notion de curseur dans la gestion du désir
Quant à Descartes il va encore plus loin allant même jusqu'à affirmer : «Il  vaut mieux changer ses désirs que l’ordre du monde»

-3- Le désir est un moteur de vie (Spinoza, Nietzsche)

Le mythe d’Ulysse et les sirènes: en passant au large des sirènes, Ulysse demande à son équipage de l’attacher au mât de son bateau pour jouir de leur chant tout en sachant qu’il est certain de ne pouvoir céder à leur appel. Bien conscient qu’il serait trop faible pour y résister il choisit d’éprouver son désir : il désire désirer. De bien des points de vue le désir est en effet ce qui nous fait ressentir notre existence , ce qui atteste de sa puissance. 
C'est une idée que confirmera plusieurs siècles plus tard Spinoza, pour lequel le désir est un appétit qui nous incite à un effort constant, celui de «persévérer dans notre être» 
Je cite Frédéric Lenoir ( «Le miracle SpinozaL» paru chez Fayard en 2017): «Spinoza affirme que le désir est l'essence de l'homme. L'être humain est fondamentalement un être désirant. Par le conatus sa nature le pousse sans cesse à désirer.Le désir n'a donc en soi rien de mauvais bien au contraire. Ne plus rien désirer c'est éteindre la flamme de la vie. C'est anéantir toute puissance vitale.»
Une opinion également reprise par Nietzsche : «Le but n'est pas le bonheur, c'est la sensation de puissance...la vie est volonté de puissance.» («Par delà le bien et le mal»)
Cette recherche de puissance c'est en quelque sorte notre «dynamo» personnelle...

-4- Désir et pulsion : Freud

Je me dois enfin de citer Freud bien sûr, mais sans m'y attarder. Freud se considérait  (...ce qu'il était effectivement...) comme un médecin et non comme un philosophe. Sa contribution a néanmoins, nul n'en doute, révolutionné la pensée moderne. Je me contenterai donc d'évoquer ce qu'il entend par pulsion: « Par pulsion nous ne pouvons d'abord comprendre rien d'autre que le représentant psychique d'une source continue d'excitation endosomatique par opposition à un stimulus ponctuel et extérieur» («Trois essais sur la théorie de la sexualité»)  C'est donc ici une théorie essentiellement physique liée à ses expérimentations : nos pulsions sont des automatismes internes destinés à réagir aux excitations externes...


Notre choix philosophique (notre éthique )

Il n’y a pas de réflexion philosophique sans choix d’une éthique, et je m’en réfère à la conclusion de André Comte Sponville dans son Dictionnaire: « Il serait absurde ou mortifère de vouloir supprimer le désir on ne peut que le transformer, que l'éclairer, le sublimer parfois, et tel est le but de l'éducation.Tel est aussi le but de l'éthique .Il s'agit de désirer un peu moins ce qui n'est pas ou ne dépend pas de nous, un peu plus ce qui est ou ce qui en dépend : il s'agit d''espérer un peu moins, d'aimer et d'agir un peu plus»
Je lancerai donc notre débat en m'appuyant sur quelques unes des pistes de reflexion évoquées précédemment, à commencer par : «Dois je écouter et satisfaire mes désirs et mes pulsions sans tenir compte des conséquences ou effets collatéraux de ma conduite ?»

Bonne réflexion !

«Mieux penser pour mieux vivre» - Le café philo de Royan - Jacques Eskénazi 

1 commentaire

#1  - Janie Beghin a dit :

Voici un extrait du dernier prix Goncourt, où le désir permet à la littérature de faire une belle rencontre avec la philosophie :

Duel entre Platon et Spinoza

Dans le vol United pour NY, Vannier relit justement ce court texte qu'il a offert à Lucie, l'Anomalie, de Victor Miesel, un auteur dont il ignorait tout voici 2 mois. Il tente de travailler mais ne peut s'empêcher de réécrire pour la dixième fois son mail désespéré. Il est à terre. Il n'avait rien anticipé de cette dégringolade, vertigineuse.
C'est cette souffrance exprimée et exhibée qui a exaspéré Lucie, qui a fini par le perdre, mais il s'est montré incapable de composer. Face à la douleur de l'échec, il s'accuse, maudit son impatience. Il se croyait bon amant, tendre et savant, il aurait rêvé de la retenir par le sexe, de devenir pour elle le synonyme d'un plaisir exquis. Alors stupidement, car rien n'est aussi stupide que le désir, cette essence même de la vie à en croire Spinoza, André avait voulu sans cesse la ramener vers un lit qu'elle a fini par éviter.
« Ton désir m'opprime. Tu as réussi à tuer le mien », lui dit Lucie, et elle réclama une « pause » qui n'en fut bien sûr pas une.
Miss Platon contre Dr Spinoza. Et Spinoza avait perdu. Echec et mat.

P.124 L'anomalie, Hervé Le Tellier, 2020

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