↬ café-philo du jeudi 13 octobre 2022 : "Machiavel ou comment prendre le pouvoir et le garder..." ✎ Jacques Eskénazi
Ce café-philo s'est déroulé le jeudi 13 octobre 2022 à 17h.
au 37, avenue des Congrès à Royan.
«Mieux penser pour mieux vivre : le café philo de Royan»
Machiavel
ou
comment prendre le pouvoir et le garder...
Avant propos
J'aurais tout aussi bien pu titrer : « Machiavel est-il toujours parmi nous ? », tant il est vrai qu'aujourd'hui encore, 5 siècles après sa disparition, nous employons couramment les deux substantifs, «machiavélien» ou « machiavélique» qui n'ont pas, «stricto sensu», la même signification. Nous y reviendrons...
Je vous dois en fait, avant de commencer ce café philo, 3 mises au point préliminaires.
-1- La première, c'est, bien sûr, un essai de conclusion au café philo du 29 Mars dernier. Souvenez vous, nous l'avions titré : « Politique et philosophie, la cité juste est-elle une utopie ? »
Je ne reviens pas bien sûr sur le contenu général et la pensée des différents philosophes et politologues évoqués, si ce n'est pour vous rappeler qu'une large section avait été consacrée justement à Machiavel : « La fin justifie les moyens, Machiavel et la volonté du Prince »
Je dirai simplement, même si c'est un résumé un peu brutal, que la cité juste, ou le gouvernement juste, c'est la cité, ou le gouvernement, qui obéit aux souhaits de ses administrés, eu égard aux conditions du moment. La cité juste serait donc une cité opportuniste et changeante....
Des exemples ? J'en ai plein les poches :
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Lénine et le communisme
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Mussolini et le fascisme
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Jaurès et le socialisme
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De Gaulle et le gaullisme
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Reagan et la « Reaganomics»
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Roosevelt et le «New Deal»
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Margaret Thatcher et le libéralisme
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Gorbatchev et la perestroïka, ...etc....
-2- La deuxième mise au point que je vous dois, c'est la teneur de ce café philo.
Vous savez tous, et notamment les fidèles assidus, que notre café philo part invariablement d'une interrogation sur une idée générale (l'art- le temps- le bonheur- l'intérêt individuel....) à laquelle nous nous efforçons de répondre en confrontant diverses opinions ( Aristote, Socrate, Nietzsche, Rousseau, Comte Sponville...) afin de nous forger «in fine» notre propre opinion.
Aujourd'hui, avec Machiavel, nous inversons en quelque sorte la tendance : à partir de la pensée d'un auteur unique, nous allons nous confronter à une multitude (… le mot n'est pas trop fort...) d'interprétations, à partir desquelles il nous sera bien difficile de nous forger une vérité définitive.
-3- Enfin, bien évidemment, la troisième clarification c'est : pourquoi Machiavel ? En quelque sorte qu'est ce qui a bien pu m'inspirer le thème de ce café philo ?
La réalité qui nous entoure étant la meilleure des muses, j'ai été frappé (...parfois au sens littéral du terme …) par des évènements politiques récents.
Zoom arrière....
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Le 24 Février dernier, la Fédération de Russie de Vladimir Poutine, tsar autoproclamé de toutes les Russies, lance une opération militaire «spéciale» contre l'Ukraine
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Avril 2022 : le très conservateur (...extrême droite...) Viktor Orban, conserve son siège de premier ministre en Hongrie, pays démocratique membre de L'U.E.
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Mai 2022 : chez nous, Emmanuel Macron remporte un second mandat présidentiel
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Juillet 2022 : le travailliste Boris Johnson perd son fauteuil de premier ministre en Grande Bretagne au profit de la très conservatrice Liz Truss
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Enfin, « last but not least » Georgia Meloni, leader néo-fasciste d'inspiration mussolinienne clairement affirmée, arrive en tête des élections de Septembre dernier en Italie... (...A l'heure où j'écris ces lignes, Lula et Bolsonaro sont au coude à coude au Brésil...)
Voila donc ce qui a attiré mon attention : en dehors des dictatures historiques que nous connaissons tous, et des monarchies et empires constitutionnels selon lesquels le Roi (...ou l'Empereur...) règne mais ne gouverne pas, comment le pouvoir passe-t-il d'un individu ou d'un parti politique à un autre, et comment perdure-t-il ?
Ce que Machiavel synthétise mieux que moi: « Comment le pouvoir se prend et se garde ? »
C'est précisément ce que nous allons essayer de voir ensemble...
Naissance, vie, et mort de Machiavel
Nicolas Machiavel naît le 3 mai 1469 à Florence, alors dirigée par Laurent de Médicis dit «Le Magnifique», d'une famille de la classe moyenne.
Côté études, il étudie le droit et la philosophie grecque et latine. Côté vie politique, il sera bien sûr très marqué par l'instabilité qui règne à Florence: après la chute des Médicis et l'avènement de la République, ce sera l’exécution de Savonarole en 1498.
Cette année là, Machiavel commence sa vie politique en tant que secrétaire de la Magistrature Militaire de Florence. Il n'est pas ambassadeur, mais il est l'homme des missions délicates: à ce titre, il se rendra en France à la cour de Louis XII.
Il sera témoin de l'ascension rapide, grâce à l'appui des troupes françaises, de César Borgia, fils illégitime du pape Alexandre6, à Milan et dans le nord de l'Italie. Il s'investira de plus en plus dans ses différentes missions jusqu'à, de praticien de la vie politique, en devenir un théoricien .
1511 marque le retour des Médicis à Florence et le début de la disgrâce de Machiavel. Accusé de conspiration et de trahison il sera démis de toutes ses fonctions en Novembre 1512 puis emprisonné et même torturé... Libéré en Mars 1513 il se retire alors de la vie publique et commence l'écriture de ses deux ouvrages principaux: «Le Prince» et «Le discours sur la deuxième décade de Tite Live» qui ne seront publiés qu'en 1532, après sa mort. «Le Prince» traite de la Cité et des principales formes de gouvernement et est considéré bien sûr comme son œuvre majeure, celle qui a survécu à travers les siècles Quant au «Discours», c'est une œuvre qui est considérée comme nettement républicaine et qui sera saluée à ce titre par toute une frange de philosophes.
Il publiera également quelques livres de poésie, «l'âne d'or» et quelques pièces de théâtre: «l'Andrienne» et «La Mandragore».
Il meurt le 21 Juin 1527.
Qui était vraiment Machiavel ?
Pour avoir laissé une telle trace dans l'Histoire, il faut bien qu'il ait été un personnage particulièrement complexe et difficile à cerner : après tout il était citoyen florentin... En fait il n'a laissé personne indifférent.
A commencer par Voltaire qui dans sa préface à «l'Anti Machiavel» de Frédéric II de Prusse publié en 1741 écrit : «Le poison de Machiavel est trop public, il fallait que l'antidote le fût aussi».... Lequel Frédéric II n'hésitait pas à écrire : « J'ose prendre la défense de l'humanité contre ce monstre (...Machiavel...) qui veut la détruire ; j'ose opposer la raison et la justice au sophisme et au crime... J'ai toujours regardé Le Prince de Machiavel comme l'un des ouvrages les plus dangereux qui se soient répandus dans le monde.»
Clairement, pour les uns Machiavel serait le précurseur de tous les totalitarismes. Pour d'autres au contraire, et pas des moindres, il a, premier conseiller des peuples du monde moderne, décrypté les mécanismes de la domination politique.
Ainsi, pour Rousseau : « Le Prince de Machiavel est le livre des républicains... Machiavel était un honnête homme et un bon citoyen»
Diderot de son côté : «Lorsque Machiavel écrivit son traité du Prince, c'est comme s'il eut dit à ses concitoyens, lisez bien cet ouvrage. Si vous acceptez jamais un maître, il sera tel que je vous le peins : voilà la bête féroce à laquelle vous vous abandonnerez.»
Quant à Spinoza, il en fait carrément un chantre de la liberté : «Machiavel a peut-être voulu montrer combien une multitude libre doit se garder de confier exclusivement son statut à un seul homme»
Plus près de nous, pour Alexandre Koyré (1892- 1964) : «Avec Nicolas Machiavel, nous sommes vraiment dans un tout autre monde. Le Moyen Age est mort ; bien plus, c'est comme s'il n'avait jamais existé. Tous ses problèmes : Dieu, salut, rapports de l'au-delà et de l'ici bas, justice, fondement divin de la puissance, rien de tout cela n'existe pour Machiavel. Il n'y a qu'une seule réalité celle de l'état ; il y a un fait, celui du pouvoir»
Enfin je terminerai ce bref aperçu des réactions que sa pensée a suscitées, par le jugement catégorique d'Etienne Balibar (1942- ) : «Tous les princes vont à leur ruine dans laquelle ils entraînent l'état qu'ils auront fondé puisque cet état n'est pas autre chose que l'improbable matérialisation de leur vertu »
«Last but not least», Machiavel lui-même dans une lettre du 10.12.1513 à son ami Francesco Vettori, révèle ce qu'il cherche : «Ce que c'est que la souveraineté, combien d'espèces il y en a, comment on l'acquiert,comment on la garde, comment on la perd»
A bon entendeur, salut.... Il nous faut maintenant aller au plus profond de sa pensée et de ses écrits.... Pour des raisons faciles à comprendre, j'ai un peu délaissé les Discours pour me consacrer surtout au Prince.
Y a-t-il une méthode Machiavel ?
On serait bien tenté de le croire à la lecture du Prince. Pourtant, ce n'est ni un roman (encore que certain passages s'identifient parfaitement à une fresque historique), ni un traité de droit constitutionnel à l'usage des nuls.... C'est un recueil de considérations, de conseils, et d'analyses tirés de ses observations et de son expérience, à l'usage du Prince, certes, mais également de ses administrés.
A ce propos, je vous encourage vivement, si vous en avez bien sûr le temps et l'envie, de le feuilleter tranquillement.
Vous verrez : non seulement il est accessible à chacun d'entre nous, mais en outre, il m'a semblé complètement en phase avec les évènements politiques les plus marquants des 20ème et 21ème siècle.
Premier point incontournable : sa dédicace en forme de supplique à Julien de Médicis, les Médicis étant de retour à Florence après l’exécution de Savonarole. Un modèle d'humilité ? Il fallait bien rentrer en grâce après son arrestation, ce qu'il n'a jamais réussi à faire !
«Je ne veux pas que l'on considère qu'il y a présomption si un homme de basse et infime condition ose discourir et donner les règles du gouvernement des princes».
D'ailleurs dans la préface de l'édition sur laquelle j'ai travaillé, je suis tombé par hasard sur une curiosité : trois présidents du Conseil italien ont préfacé le Prince : Benito Mussolini, Bettino Craxi et Sylvio Berlusconi... Mussolini considérant pour sa part Machiavel comme «Le plus grand de nos penseurs» et le Prince comme le «Vade mecum de l'homme de gouvernement»
«Vade mecum» : le terme convient bien pour qualifier l'ouvrage. Je verrais bien quant à moi : «bréviaire»...
Il est composé de 26 chapitres sur lesquels, je vous rassure, je ne m'étendrai pas. J'ai donc pris le parti de les classer arbitrairement en deux sous catégories.
Première sous catégorie : la descriptive.
Je la mentionne pour mémoire et nous pourrons évoquer si vous le souhaitez le chapitre qui vous interpelle... Il ne s'agit bien sûr pas d'une sous catégorie secondaire (...13 chapitres sur 26!...), mais la crème, si j'ose dire, se trouve dans les chapitres suivants
CH.1: Combien il y a de principats et par quels moyens ils s'acquièrent
CH.2: Des Principats héréditaires
CH.3: Des Principats mixtes
CH.4: Pourquoi le royaume de Darius qu'Alexandre avait occupé ne se révolta pas contre ses successeurs
CH.5: Comment on doit gouverner les Cités ou principats qui, avant d'être occupés vivaient sous leurs propres lois.
CH.6: Des principats nouveaux qu'on acquiert par ses propres armes et vertus
CH.7: Des principats nouveaux qui s'acquièrent par force et fortune d'autrui
CH.8 :De ceux qui sont devenus princes par leurs crimes
CH.9 : Des principats civils
CH.10 : Comment doivent se mesurer les forces des principats
CH.11 : Des principats ecclésiastiques
CH.12 : Des différents genres d'armée et des soldats mercenaires
CH.13 : Des soldats auxiliaires, mixtes et propres
Deuxième sous catégorie: Les conseils
CH.14 : Ce que doit faire le prince au sujet de l'armée
CH.15: Des choses pour lesquelles les hommes et surtout les princes sont loués ou blâmés
CH.16 : De libéralité et parcimonie
CH.17 : De cruauté et de pitié et s'il vaut mieux être aimé que craint
CH.18 : Comment les princes doivent tenir leur parole
CH.19 : Comment on doit fuir le mépris et la haine
CH.21 : Ce qu'un prince doit faire pour pour être considéré comme éminent
CH.22 : Des hommes que les princes ont auprès d'eux pour les affaires secrêtes
CH.25 : Combien peut la fortune dans les choses humaines et comment il faut lui résister
Je reprendrai donc ici quelques thèmes parmi les plus importants, à savoir ceux sur lesquels on s'interroge encore aujourd'hui et qui sont simplement extraits de son œuvre. Ici aussi, je me suis concentré sur quelques thèmes fondamentaux.
Pour y rajouter un peu de piquant et de «vécu historique» je n'ai pas hésité à mentionner quelques hommes politiques connus de tous.....
A vous d'argumenter !
Le rôle de l'histoire dans la conduite de la vie politique. (Le Prince, CHAPITRE 14)
Machiavel mobilise en permanence les auteurs grecs et latins, les grands stratèges et les hauts faits du passé qui constituent selon lui autant d'exemples à imiter. Bien gouverner n'est pas une science exacte : c'est la raison pour laquelle il faut garder à l'esprit ce qui a réussi et ce qui a échoué. (Bismarck et l'Alsace Lorraine, le Royaune Uni et l'Irlande, la France et l'Indochine...les politiques d'annexion)
« Quant à l'exercice de l'esprit, le prince doit lire les histoires et y considérer les actions de grands hommes, voir comment ils se sont gouvernés dans les guerres, examiner les causes des victoires et des pertes, afin de pouvoir éviter celles ci et imiter celles là et surtout faire comme ont fait dans le passé certains grands hommes qui se sont mis à imiter ceux qui avaient été loués et glorifiés avant eux... Ainsi dit-on qu'Alexandre le Grand imitait Achille, César Alexandre , Scipion Cyrus...»
Le rôle de l'apparence dans la conduite du pouvoir. (Le Prince, Chapitre 18)
Pour Machiavel être moral n'est pas nécessaire en politique.Mais le paraître l'est bien souvent. Dés lors le prince doit passer maître dans l'art de la dissimulation afin d'utiliser cette force à son avantage (Staline et la glorification du peuple russe en pleine épuration soviétique....). Machiavel pourrait bien être le précurseur de la communication politique...
«Parmi les exemples de fraîche date il en est un que je ne veux pas taire. Alexandre VI ne fit jamais rien d'autre, ne pensa jamais à rien d'autre qu'à tromper les hommes et trouva toujours matière à pouvoir le faire : et il n'y eut jamais homme qui fût plus efficace pour affirmer, et pour soutenir une chose avec de plus grands serments et qui les observât moins ; et pourtant ses tromperies lui réussirent toujours selon ses désirs...»
Le prince doit-il être aimé ou craint? (Le Prince CH.17)
Il n'est pas toujours possible d'échapper à la condamnation de l'opinion publique dans l'exercice du pouvoir. Paraître trop bon n'est de toute façon pas un gage de stabilité. Dés lors le pouvoir politique assoit mieux son emprise s'il s'accompagne d'une certaine crainte. Le prince doit faire un peu peur...(Kim Jong Un, Poutine, et les assassinats d' opposants.....)
«De là naît une dispute : s'il vaut mieux être aimé que craint ou l'inverse. On répond qu'on voudrait être l'un et l'autre ; mais comme il est difficile de les mettre ensemble, il est beaucoup plus sûr d'être craint que d'être aimé, si l'on vient à manquer de l'un des deux. Car des hommes on peut dire ceci, en général : qu'ils sont ingrats, changeants, simulateurs et dissimulateurs, fuyards devant les périls et avides de gain...»
L'opportunisme au rang de vertu politique.( Le Prince. CH.6)
Certes le sort – la fortune- peut être contraire mais il il fournit également à qui sait l'utiliser à son profit de nombreuses occasions de parvenir à ses desseins. Saisir une occasion même défavorable peut être la clef de la réussite...(Mitterrand et ses retournements historiques de veste voire de pantalon....de l'Action Française au PS)
«A considérer Cyrus et les autres qui ont acquis et fondé des royaumes vous les trouverez tous admirables et si l'on considère leurs actions et leurs institutions particulières elles ne sembleront pas très différentes de celles de Moïse qui eut un si grand précepteur. Et en examinant leurs actions et leurs vies on ne voit pas qu'ils aient reçu de la fortune autre chose que l'occasion... et sans cette occasion la vertu de leur âme se serait éteinte, et sans cette vertu l'occasion serait venue en vain»
L'importance du hasard dans la vie politique. ( Le Prince, CH25)
Les hommes sont passés du cosmos tranquille et bien ordonné de l'Antiquité au chaos de la Renaissance. Dans un monde nouveau, fait de contingences, d'aléas, de changements perpétuels, le prince devra garder toujours à l'esprit l'imprévisibilité des évènements pour se préparer à un éventuel revers de fortune (Mussolini et la chute du fascisme italien, Ceaucescu et le renversement de la dictature roumaine, Allende et le coup d'état chilien...)
« Ne pouvant admettre que notre libre arbitre soit réduit à rien j'imagine qu'il peut être vrai que la fortune dispose de la moitié de nos actions mais qu'elle en laisse à peu près l'autre moitié en notre pouvoir. Et je la compare à l'un de ces fleuves impétueux qui dans leur colère inondent les plaines, abattent les arbres et les édifices... Il en va de même de la fortune laquelle montre sa puissance là où la vertu n'est pas préparée à lui résister et elle tourne ses attaques là où elle sait que n'ont été faits ni digues ni remparts pour la contenir»
La fin justifie les moyens. Discours sur la première décade de Tite Live. (Livre1, CH7)
C'est ici la thèse la plus polémique, mais aussi la plus cynique de Machiavel : lorsqu'il 'agit de conserver le pouvoir le prince ne doit pas se préoccuper de morale, il doit mobiliser tous les moyens même les plus condamnables. Cette thèse est à l'origine du terme «machiavélique». (Machiavel cite pour exemple l'assassinat de Remus par Romulus lors de la création de la république romaine)
«Un esprit sage ne condamnera jamais quelqu'un pour avoir usé d'un moyen hors des règles ordinaires pour régler une monarchie ou pour fonder une république. Ce qui est à désirer c'est que si le fait l'accuse, le résultat l'excuse... Ce n'est pas la violence qui restaure mais la violence qui ruine qu'il faut condamner».
Et enfin, quelques conseils et aphorismes glanés au hasard de l'ouvrage....
Le prince et les guerres de conquête : Si bien que la voie la plus sûre est de les détruire ou de les habiter (P48)
Le mal en politique : le prince ne fait pas le bien ou le mal, il fait bien ou mal ce qu'il a à faire ((P74)
Le prince et l'armée : Aussi un prince ne doit-il jamais détourner sa pensée de cet exercice de la guerre (P102)
Le prince et la morale : Apprendre à pouvoir ne pas être bon (P130)
La meilleure forteresse qui soit est de ne pas être haï par le peuple (P154)
Bons et mauvais conseillers : il s'agit des flatteurs dont les cours sont pleines (P180)
Je ne me hasarderai pas à conclure, toute conclusion concernant notre florentin étant par définition plus qu'hasardeuse... Car en fait, lorsqu'on s'intéresse à la pensée de Machiavel, on se heurte à une double difficulté :
-1- La première c'est l'époque troublée à laquelle il vécut : la république laïque des Médicis, la république théocratique de Savonarole, le retour des Médicis...
-2- La deuxième c'est l'originalité de son message, qui couvre un moment charnière où la pensée politique européenne commence à basculer du pouvoir divin au pouvoir laïc. La politique ne deviendrait plus alors qu'une technique visant à s'approprier le pouvoir, loin de tout projet moral, et en particulier toute réflexion sur la cité idéale....
Pour faire court : Machiavel ne prêcherait pas réellement l'immoralisme en politique, mais les gouvernants ne doivent pas, dans leur action, tenir compte de considérations morales.
Jacques Eskénazi
Royan, le 14 Octobre 2022