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✎ Hommage à un fou littéraire par Danielle Guérin-Rose

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Il s’appelait Patrice Louis, mais nombre d’entre nous le connaissaient comme « Le Fou de Proust », reprenant ainsi l’intitulé du blogue qu’il consacrait à l’auteur avec lequel il était un jour tombé en amour.
Et fou, et amoureux des mots et de la pensée proustienne, fallait-il qu’il le fut, pour choisir de s’installer, après une vie professionnelle bien remplie, dans ce petit village d’Illiers, à jamais associé au Combray de l’enfance proustienne, au point de changer officiellement de nom.

Il était venu s’arrimer près du Pré-Catelan et de la maison de tante Léonie après avoir bourlingué hardiment entre Outre-Mer (où il rencontra sa femme Violette) et continent africain (où il rencontra Aimé Césaire), et avoir poursuivi sur les ondes une longue carrière qui l’avait mené d’Europe 1 à Radio-France, de Canal Plus à BFM TV. Il avait aussi écrit des livres, mais un jour, en tournant les pages de « La Recherche », cette âme littéraire était tombée en passion pour le Petit Marcel, et son univers immense l’avait pris dans ses filets pour ne plus jamais le lâcher. Il connaissait sa « Recherche » sur le bout du doigt, et avait répertorié tous ses personnages, travail titanesque, dont il ne s’est jamais lassé.

Il était venu deux fois nous visiter aux Rendez-vous Littéraires de Royan, la première pour nous parler de Proust, bien sûr, et après la conférence, nous avions égrené avec lui des passages de la Grande Œuvre[D1] , en longeant le bord de mer, comme ailleurs, sur la côte Normande, le faisaient les Jeunes-Filles en fleur. Il faisait beau, il portait un costume clair. Il était plein de fougue, de faconde, d’élan et de sympathie humaine. Nous avions eu envie de le revoir et de l’entendre à nouveau, lui et sa culture chaleureuse, dépourvue de pédanterie. Et il était revenu avec Laurent Doucet, pour nous entretenir de leur ami commun Aimé Césaire, cette fois.

Ce ne fut pas notre dernière rencontre. Celui que nous regardions à présent comme un ami, nous avait accueillis à Illiers-Combray, où il nous avait servi de guide érudit et charmant. Nous avions suivi avec lui le chemin des aubépines et visité les sources de la Vivonne, et c’était un peu comme si Proust lui-même nous montrait la route, comme s’il marchait à nos côtés. Notre visite à Combray n’aurait pas été le même, sans Patrice.

Il sera encore là, longtemps, dans notre mémoire, après que le cancer eut fini par le vaincre, ce 17 novembre 2021 (un jour seulement avant l’anniversaire de la mort de Proust). Il parlait librement de sa maladie, de ses traitements difficiles, du dévouement des soignants, de son long combat, sur son site FaceBook. Il le faisait sans se plaindre, avec beaucoup de bravoure et de cran. C’était comme un feuilleton qu’il écrivait pour nous, une sorte de journal à épisodes avec l’arrivée dans sa boite aux lettres de mystérieuses chaussettes de couleur ou de bonnets tout aussi colorés, dont l’expéditeur restait mystérieux, et les poétiques bouquets de Violette, qu’elle confectionnait pour lui. Pas vraiment triste, ce noir feuilleton, en dépit de son arrière-plan dramatique, et même parfois plein d’humour, à cause de la dignité de l’auteur, de son optimisme, même, et de sa volonté de se battre, envers et contre tout. Jusqu’au dernier moment, jusqu’à son retour de l’hôpital, où il avait passé un mois, il y a si peu de jours, il ne baissait pas la garde.

Mais la mort a fini par gagner, en dépit de la lutte sans merci. Elle gagne toujours en fin de compte, c’est ainsi. Et j’espère que notre Fou de Proust me pardonnera, si pour lui adresser un dernier salut, je ne cite pas son auteur préféré, un extrait par exemple, de la mort, si touchante, de la grand-mère, mais si j’emprunte à Rostand les derniers vers de son chef-d’œuvre, parce que je trouve qu’ils lui vont bien, qu’ils conviennent à son courage et à sa vaillance :

-      «  Il y a malgré vous quelque chose
Que j'emporte, et ce soir, quand j'entrerai chez Dieu,
Mon salut balaiera largement le seuil bleu,
Quelque chose que sans un pli, sans une tache,
J'emporte malgré vous, Et c’est ... (...)
-      C’est ?
-      Mon panache. »


Danielle Guérin-Rose

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