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☕ 19 mai 2015 : 45ème séance des rendez-vous littéraires de Royan

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          Oscar Wilde, astre et désastre, invitée : Danielle Guérin-Rose, auteure d' "Oscar Wilde", aux éditions Pardès, vide-présidente de la Société Oscar Wilde,

 

 

Oscar WILDE : Astre et désastre

Oscar Wilde

 

1 - Le succès

Les années qui ont suivi le mariage d’Oscar ont été celles de l’épanouissement littéraire. Son recueil de contes Le Prince heureux a remporté un grand succès dès sa parution en 1888. L’année suivante, deux essais, Le Déclin du mensonge et Le Portrait de Mr. W.H achèvent d’asseoir sa réputation littéraire. Mais le vrai coup de maître est à venir. En 1890, il entreprend d’écrire Le Portrait de Dorian Gray, ouvertement inscrit dans la mouvance scandaleuse des décadents français. «L’auteur fait étalage de ses recherches dérisoires dans les détritus abandonnés par les décadents français» déclare la St. James Gazette. Mais, en dépit des indignations, Dorian Gray connaît un énorme retentissement dans le monde intellectuel. Oscar Wilde a atteint un apogée quand, en février 1891, il séjourne à Paris, à l’hôtel de l’Athénée. Le cercle de ses relations s’est beaucoup élargi, et il se sent véritablement le Roi de la vie - le fameux King of life. «Son geste, son regard triomphaient,» écrit Gide dans son Oscar Wilde. « Son succès était si certain qu’il semblait qu’il précédât Wilde et que lui n’eût qu’à avancer. Ses livres étonnaient, charmaient. Ses pièces allaient faire courir Londres. […] – et le fait est qu’il rayonnait.»

 

2 - De Profundis et la prison

Dans l’ivresse amoureuse, Wilde accepte le rôle de victime expiatoire, en espérant que l’amour de Bosie le soutiendra dans l’épreuve. Or, pendant les deux ans d’enfer qui vont suivre, Bosie ne vient pas le voir et ne lui écrit pas. Douglas se défendra de l’avoir abandonné en rappelant qu’il a essayé de l’aider par l’adresse d’une pétition à la reine Victoria (qui n’a jamais atteint sa destinataire), et en se répandant dans les journaux français, en particulier Le Mercure de France. Mais, en prison, Wilde, coupé de tout, n’entend que le silence de l’aimé. Ce qu’il voit, c’est son absence. Comment supporter une telle désertion quand la vie est une pure souffrance, que chaque jour donne envie de se tuer?

 

« Cher Bosie – Après une longue et vaine attente, j’ai décidé de t’écrire le premier, pour ton bien autant que pour le mien, car il me serait pénible de penser que j’ai subi deux longues années d’emprisonnement sans jamais avoir reçu de toi une seule ligne, pas la moindre nouvelle, ni même un message, à l’exception de ceux qui m’ont affligé. »

 

Ainsi commence le manuscrit de De Profundis, rédigé de janvier à mars 1897 dans la prison de Reading sous forme d’une poignante et terrible lettre à Alfred Douglas. Au moment où il écrit ces lignes, Wilde a tout enduré : la honte et les humiliations, les mauvais traitements, la faim, le désespoir et les souffrances physiques, l’esclavage dégradant de travaux inhumains – du dépeçage de l’étoupe au moulin de discipline – sans jamais rien recevoir de Bosie. Dans la désolation de ses prisons successives – Pentonville, Wandsworth et Reading – Wilde s’est interrogé jour et nuit sur l’inconcevable silence de l’aimé, il s’est infligé sans relâche la torture des mêmes questions sans réponse. Bosie l’aimait, pourtant. Sa présence fidèle à Holloway, ses serments éperdus en témoignent. Wilde lui-même le reconnaîtra dans De Profundis : « Oui, je sais que tu m’aimais. Quelle qu’ait été ta conduite envers moi, j’ai toujours senti qu’au fond du cœur tu m’aimais vraiment. »

 

3 - Le Portrait de Dorian Gray

Dès sa première édition dans le Lippincott’s Monthly Magazine en juillet 1890, le roman de Wilde a été traité par la presse anglaise de «déchet de la décadence française» et de «livre empoisonné», stupide et vulgaire. Wilde le révisera l’année suivante en y ajoutant six nouveaux chapitres et une préface où il tente d’expliquer sa philosophie de l’art. Mais cette seconde édition fait encore scandale, au point que certaines connaissances du couple Wilde cessèrent de les saluer. «Les gens de bien exaspèrent la raison ; les gens de peu excitent l’imagination,» avait déclaré Wilde dans une de ses lettres à la St James’s Gazette. De telles théories devaient conduire Oscar Wilde à s’intéresser à la personnalité d’un assassin comme Thomas Wainewright, auquel il consacra son essai Plume, pinceau, poison, et à fréquenter dans la vie réelle ces fameuses « panthères » dont il écrira plus tard dans De Profundis : «On a trouvé horrible de ma part d’avoir convié à des festins les mauvais éléments de la vie et d’avoir pris plaisir à leur compagnie. Mais le mobile qui, en tant qu’artiste, me les faisait fréquenter me les rendait délicieusement inspirateurs et stimulants. C’était festoyer avec des panthères. […] ils étaient extrêmement intéressants.»

Que Dorian Gray fût un personnage «intéressant» au sens où l’entendait Wilde, c’est justement là l’objet du scandale. Car l’intérêt du livre tient moins à son intrigue qu’aux théories que Wilde diffuse à travers la figure de son héros. Or, la froide immoralité du personnage, qui le mène à la débauche et au crime, découle directement d’un style de vie cher à Pater et à la philosophie wildienne : celle de l’esthétisme concevant la vie comme un art. C’est la poursuite inlassable du plaisir et de la beauté, l’aspiration à une existence sublimée qui entraînent Dorian Gray vers les grands fonds. L’abandon brutal de Sibyl Vane, l’assassinat du peintre Basil Hallward, le suicide d’Alan Campbell, et jusqu’à la destruction de Dorian, exécutée de ses propres mains, résultent d’un idéal hédoniste, d’une philosophie égotiste poussée à ses dernières limites, sans autre souci qu’une parfaite réalisation de soi. Et Carson a beau jeu d’attaquer Wilde sur l’influence pernicieuse d’un tel livre, en particulier sur cette phrase contenue dans l’introduction de Dorian Gray : «Il n’existe pas de livre moral ou immoral. Les livres sont bien ou mal écrits, c’est tout.»

 

4 - Reading

Reading, où Wilde arrive en novembre, et où il demeurera jusqu’à la fin de sa peine, est une sinistre forteresse de briques rouges, aux murs crénelés, construite sur le modèle de Pentonville, avec des cellules individuelles réparties sur trois galeries – A, B et C. Cent quatre-vingt-dix prisonniers y vivent sous la férule d’un gouverneur impitoyable, le colonel Isaacson, qui va imposer à Oscar Wilde l’inflexibilité de sa loi pendant huit longs mois de calvaire.

Au lot quotidien de souffrance, s’ajoute pour Wilde la famine d’une intelligence privée de commerce culturel. À cet incomparable causeur, la conversation est impossible. À cet insatiable amoureux des livres, la lecture est interdite, du moins jusqu’à l’arrivée d’un nouveau gouverneur, le major Nelson, qui, assouplissant le régime imposé par son prédécesseur, lui permettra de lire et d’écrire. Wilde avait fait de l’art la finalité de son existence. Coupé du monde, confiné dans la médiocrité pénitentiaire, réduit au silence, Wilde se sent enfermé au fond d’une tombe. La pétition lancée dès 1895 par quelques amis fidèles – More Adey à Londres, et Stuart Merrill à Paris – pour demander que Wilde «ne mourut pas au bagne supplicié, exténué» (Henri Bauër – L’Écho de Paris – 3 décembre 1895) recueillit peu de signatures. Wilde effectuera toute sa peine, en proie, les dernières semaines, à la hantise de retrouver l’hostilité du monde extérieur. Le souvenir du cruel incident de Clapham Junction, survenu le jour de son transfert à Reading, le hante comme l’expérience la plus douloureuse et la plus dégradante de sa vie carcérale. Cette scène d’indicible humiliation constitue un des plus bouleversants passages de De Profundis : «De Londres, j’ai été amené ici le 13 novembre 1895. Ce jour-là, de deux heures à deux heures et demie, il m’a fallu rester sur le quai central de la gare de Clapham, en uniforme de forçat, menottes aux mains, exposé à tous les regards. On m’avait tiré de l’infirmerie sans m’en avertir un seul instant à l’avance. J’offrais le plus grotesque des spectacles. Quand les gens me voyaient, ils riaient. L’arrivée de chaque train venait grossir le nombre des curieux. Leur amusement était extrême, et cela, bien entendu, avant qu’ils sachent qui j’étais. Quand ils le surent, ils rirent de plus belle. Pendant une demi-heure, je restai là sous la pluie grise de novembre, entouré d’une foule qui me raillait. Pendant toute l’année qui suivit cette épreuve, je pleurai chaque jour à la même heure, pendant le même laps de temps.» 

 

5 - Dernières années à Paris

Chaque jour, Wilde doit maintenant lutter contre les deux fléaux qui le guettent : la solitude et la pauvreté. L’obsession de l’argent envahit sa vie et constitue la litanie de la plupart de ses correspondances. Il perçoit quelques droits d’auteur, et la succession de Constance, qui lui assure une rente annuelle de 150 £, pourrait lui permettre de subsister, mais il gère mal son argent et, certains soirs, n’a même pas de quoi s’offrir un dîner. Ainsi, la cantatrice Nelly Melba l’aurait vu un jour surgir devant elle : «Madame Melba, vous ne me reconnaissez pas ? Je suis Oscar Wilde, et je vais faire une chose terrible, je vais vous demander de l’argent.» Celle à qui il avait autrefois déclaré : « Je suis le Seigneur du langage et vous êtes la Reine du chant,» lui donna tout ce qu’elle avait, et il disparut sur un remerciement furtif, la laissant désemparée. «Je suis un vagabond, dit-il. Le siècle aura eu deux vagabonds, Paul Verlaine et moi.» Le café est son dernier refuge, le seul où il peut encore rencontrer ces garçons auxquels il n’a pas renoncé, et dont l’insouciance le distrait fugitivement de son isolement. Son favori s’appelle Maurice Gilbert, qui restera un ami proche et dévoué jusqu’à sa fin. Il a noué quelques nouvelles relations – avec Jehan Rictus, Alfred Jarry, Ernest La Jeunesse, qu’il rejoint parfois au bar Calisaya, le rendez-vous des anarchistes – ou avec Maurice Maeterlinck et sa maîtresse, la cantatrice Georgette Leblanc, auxquels il déclare qu’il porte le deuil de sa vie. Mais la plupart de ses anciens amis français l’évitent soigneusement. Gide ne le revoit que deux fois dans ses dernières années parisiennes. Quand Wilde, le voyant passer, l’appelle pour qu’il le rejoigne à sa table, il s’assied de dos pour ne pas être reconnu des passants. Remarquant son manège, Wilde lui en fait tristement le reproche : «Oh ! Mettez-vous donc là, près de moi, dit-il en m’indiquant, à côté de lui, une chaise ; je suis tellement seul à présent […] Quand jadis, je rencontrais Verlaine, je ne rougissais pas de lui […] Je sentais que d’être vu près de lui m’honorait, même quand Verlaine était ivre.» (Gide, 1910 et 1989.)

 

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